Le design conditionne le parcours utilisateur. L’ensemble de la structure des pages web, des couleurs, des polices, des boutons ou encore des fonctionnalités, forme un langage visuel qui guide naturellement l’internaute lors de sa visite. Le but premier de l’UX (expérience utilisateur) design est de rendre cette navigation aussi fluide que possible. Seulement voilà. La limite entre guider et manipuler est parfois trouble. Et comme tous les outils, son côté sombre n’a pas tardé à faire son apparition. Les Dark Patterns, ces techniques très discutables qui altèrent l’autonomie et les prises de décisions des utilisateurs, ont envahi le web. Certaines astuces sont même si admises que vous les avez peut-être déjà adoptées sur votre site. Pourtant, il s’agit bel et bien d’une très mauvaise opération sur tous les niveaux. Voici pourquoi et comment ne pas céder à leur appel. 

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Les Dark Patterns c’est quoi ?

Avez-vous déjà reçu une newsletter à laquelle vous ne pensiez pas vous être abonné.e ? Vous êtes-vous déjà fait débité.e pour un abonnement après avoir seulement souscrit à une offre découverte gratuite ? Avez-vous déjà dû créer obligatoirement un compte client pour réaliser un achat avec unique option de passer par Facebook Connect ? 

Certainement. 

Vous avez donc déjà expérimenté, plus ou moins à vos dépens, ce que sont les Dark Patterns.  

Darks Patterns, que l’on pourrait traduire par “Modèles trompeurs”, est une expression imaginée par le designer UX londonien Harry Brignull. Voici la définition qu’il en donne : 

“Dark Patterns are tricks used in websites and apps that make you do things that you didn’t mean to, like buying or signing up for something.”

En résumé, c’est le fait qu’une interface web soit conçue de telle manière que l’utilisateur exécute une action (souvent commerciale) au bénéfice du créateur, sans en être pleinement conscient. 

Action que le designer aurait jugé comme non effectuée naturellement par l’utilisateur, puisqu’il considère qu’il est nécessaire de l’y amener de façon détournée. 

En jouant sur le design, ces ensembles de pratiques exploitent des biais cognitifs des utilisateurs pour en tirer profit. 

Je vous invite à regarder cette excellente vidéo qui donne des exemples très parlants de Dark Patterns.

Entre incitation et manipulation, la frontière est mince. Et c’est sur celle-ci que naviguent en eaux troubles les adeptes des Dark Patterns

Ces techniques peu éthiques vont à l’encontre même d’un marketing responsable, qui consiste selon moi à 1/ proposer un produit qui répond à un besoin réel ; Et 2/ provoquer la rencontre entre ce même produit et la personne qui en est à la recherche.

Et non d’essayer de le vendre en masse en misant sur les vulnérabilités latentes des client.e.s. D’autant plus que de telles méthodes nuisent à tout projet sur le long-terme. 

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Pourquoi les Dark Patterns desservent votre projet

Les résultats révélés par une étude réalisée par l’Université Princeton aux Etats-Unis fin 2019 sont sans appel. 11% des 11 000 sites de e-commerce audités utilisent de façon généralisée des Dark Patterns

Soit… beaucoup.  

Mais si ces techniques peu éthiques semblent monnaie courante, elles desservent nécessairement les marques sur le long terme. Et ce, sur plusieurs niveaux. 

Niveau stratégie

Jouer sur les émotions négatives des internautes. L’urgence. L’inattention. L’impatience. Le stress. La pression. La confusion. Pour arriver au résultat souhaité est évidemment source d’une expérience utilisateur désagréable. 

Si cela peut fonctionner sur quelques malentendus, ce n’est pas une stratégie viable sur le long terme. 

Et pour cause. Un utilisateur qui s’est senti lésé une fois, ne reviendra certainement pas. Pour la fidélisation client, on repassera.  

Le but est en effet d’atteindre et de satisfaire vos clients idéaux. Ceux qui sont réellement intéressés par vos produits procéderont à telle ou telle action par eux-mêmes, en toute connaissance de cause. Quant aux autres, ils ne sont dans tous les cas pas intéressants pour votre business au moment M. 

Niveau business

L’utilisation de telles méthodes dans votre stratégie n’est pas sans conséquences.  

Les Dark Patterns peuvent en effet engendrer un coût supplémentaire non négligeable en termes de service client. 

Il faut gérer les retours, les remboursements, les avis négatifs et redoubler d’inventivité pour fournir à des utilisateurs mécontents une série de justifications plausibles. 

Pour un bénéfice immédiat mais éphémère, c’est du temps et du budget de gaspillés. 

Niveau image de marque

Les marques qui utilisent des Dark Patterns sont de plus en plus montrées du doigt. En témoigne le hall of shame d’Harry Brignull sur le compte Twitter @darkpatterns.

À l’heure où les consommateurs accordent de plus en plus difficilement leur confiance aux marques, il est nécessaire d’opter pour des choix de design éthiques et transparents. Et préserver ainsi le lien si important qui vous unit à eux. 

Si vous êtes une entreprise à impact, dire non aux Dark Patterns dans l’ensemble de votre marketing, c’est aussi rester aligné.e avec les valeurs que vous défendez. C’est un sujet que je développe plus particulièrement dans mon article La nécessité d’une communication responsable, en cohérence avec son projet.

Niveau juridique

S’il n’existe pas de cadre juridique strict quant à l’utilisation de ces différentes pratiques, certaines d’entre elles ont déjà atteint leurs limites par le passé. 

Vous souvenez-vous du moment où vous vous étiez inscrit.e sur Linkedin ? Et que vous aviez envoyé quelques dizaines de mails à TOUS vos contacts sans en avoir été clairement averti.e au préalable ?

Linkedin a payé pour ça. 13 millions plus précisément.

Ça fait cher l’entourloupe. 

Bref, à tous les niveaux, les Dark Patterns sont une mauvaise opération pour votre projet. 

Toutefois, certains modèles sont si répandus en marketing qu’il est possible de les appliquer mécaniquement. Plutôt par automatisme que par une quelconque volonté de tromper le client. 

C’est ce qu’explique Loom dans son article dédié au phénomène des Dark Patterns.

La marque s’est rendu compte qu’elle utilisait elle-même certaines tactiques plus ou moins en alignement avec sa raison d’être. Tactiques qu’elle a finalement décidé d’abandonner. 

C’est pourquoi il est nécessaire d’y être attentif.ve. Il est évidemment compliqué d’être complètement objectif.ve dans toutes les actions marketing que l’on entreprend. Mais le fait de questionner le sujet est un premier pas. 

Quelles sont donc ces pratiques récurrentes de Dark Patterns qui seraient à bannir de vos interfaces web ?

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5 techniques d’UX design à bannir de vos interfaces digitales

Afin que vous puissiez vérifier que vous n’adoptez pas malgré vous des tactiques issues des Dark Patterns, voici un listing non exhaustif des erreurs relevées sur la plupart des sites web.  

1. Le bandeau cookies qui oriente (bien) visiblement vers la « bonne » réponse

La célèbre mise en avant classique du bouton “Accepter” au détriment du bouton “En savoir plus” ou “Refuser” dans le bandeau dédié à la gestion de la politique des cookies. 

Autrement dit le : “T’embête pas trop à lire le texte et clique LÀ”.

En bonus, la variation “Non seulement j’accepte, mais je suis très heureux.se de le faire”.

Et celle de la petite flèche qui m’autorise à en savoir plus tout en pointant inopinément vers le bouton « Accepter« . 

Dans d’autres cas, le choix n’est carrément pas donné à l’utilisateur qui ne peut qu’accepter s’il veut poursuivre sa navigation. 

Pourtant des sites web très populaires n’utilisent pas automatiquement cette technique. Dans l’exemple ci-dessous, les 2 options sont proposées dans un design similaire, ce qui n’altère pas la prise de décision de l’internaute.

Disclaimer : il ne s’agit pas ici de discuter de la stratégie des cookies mais de la façon de la présenter aux utilisateurs.

2. La mention état des stocks qui suscite du stress

Autrement dit le “Vite, réserve maintenant avant que Pierrette, Paulette et Jacqueline ne le fassent avant toi et te piquent l’un des derniers produits disponibles !

En rouge et en gras ici : 

En vert et dans une taille de police d’écriture plus grande ici : 

3. Le compte à rebours qui met la pression 

Autrement dit le “Tic-tac, décide-toi vite, après il sera… TROP TARD”.

Plus que 2 jours, 38 minutes et 10 secondes. 9 secondes. 8 secondes. 

Vous le connaissez ce minuteur qui se déclenche et vous laisse peu de temps pour vous décider ? Alors cette promo, on la prend ? 

7 secondes. 6 secondes. 

Notre FOMO (Fear Of Missing Out) à son maximum.

4. L’absence ou la dissimulation du lien de désinscription à une newsletter

Autrement dit : “Hep hep hep, tu pensais pas qu’on allait te laisser partir comme ça ?

Reprenons l’exemple de la vidéo de NerdWriter partagée un peu plus haut. Le lien est de la même couleur que le reste du texte, non souligné et positionné au milieu d’un paragraphe assez indigeste. Histoire qu’on ne le trouve pas si facilement.

Au contraire, voici un exemple d’un lien explicite, présenté de façon transparente. 

5. Le confirmshaming qui crée un sentiment de culpabilité

Autrement dit le “Honte à toi si tu penses pouvoir te payer le luxe de refuser notre proposition”.

A contrario, la sobriété du design ci-dessous est plus nettement plus confortable pour l’internaute en termes d’UX. 

Pour avoir un aperçu global de tous les types de Dark Patterns qui existent, vous pouvez consulter le site de Harry Brignull (en anglais).

Pour conclure, je reprendrais les mots de NerdWriter : 

Design is what mediates our interaction with the internet.

En ce sens, ce langage se doit d’être compréhensible et honnête. Voici pourquoi il est nécessaire d’être vigilant.e dans la manière de construire ses interfaces web pour ne pas appliquer involontairement des pratiques peu louables et tromper l’utilisateur. 

Face à l’ampleur du phénomène des Dark Patterns, un mouvement en faveur d’une conception d’interface web plus vertueuse a émergé : celui des designers éthiques

Porté par Jérémie Poiroux, le collectif des Designers Éthiques propose sur son site un certain nombre de ressources et de bonnes pratiques en faveur d’une conception responsable et durable. 

En réponse aux dérives que j’ai évoqué dans cet article, le groupe propose des solutions concrètes que je vous invite à découvrir.

Pour terminer (et en rire un peu), voici peut-être le pire Dark Patterns ever : le coup du faux cheveux sur l’écran pour faire cliquer l’utilisateur qui tenterait de l’enlever. 


Pour aller plus loin :

Les replays de l’édition 2020 d’Ethics by Design : une semaine de conférences dédiées à la conception responsable et durable du numérique

La grille de lecture visuelle des Dark Patterns par le LINC (Laboratoire d’Innovation Numérique de la CNIL)

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